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De l’œuvre à l’œuvre d'art

 

Traditionnellement, l’œuvre d’art (art visuel, musique, écrit) se définit comme le produit d’une activité humaine qui cherche à atteindre ‘le beau’, par opposition à l’utile, qui affiche une excellence technique et qui véhicule un message.
Cette définition offre peu d’intérêt pratique : elle s’appuie sur des concepts imprécis, interprétables, évolutifs et ne s’applique pas à la production artistique moderne.

A partir du milieu du XXème siècle, les sciences de la communication et la linguistique ont développé des modèles (Shannon, Jakobson, Riley…) qui affinent notre appréhension du fonctionnement de la communication, le processus de transmission, l‘interaction des intervenants, l’importance du contexte... Ces modèles soulignent le rôle essentiel du récepteur qui re-produit / co-produit le message de l’émetteur.

Si ces modèles ne sont pas littéralement et intégralement applicables à la communication artistique, ils en éclairent et nuancent notre compréhension. A la lumière de ces développements, le présent article propose un regard analytique et critique sur les paramètres généralement attachés au phénomène artistique.

 

Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?

Une œuvre d’art est un artefact, conçu et produit à des fins principalement esthétiques, et appréhendé comme tel lors de l’expérience qu’en fait un récepteur.

Cette définition s’apparente au modèle basique de toute communication. L’œuvre d’art appelle à être regardée, écoutée, lue. Elle comporte dès lors indéniablement une dimension communicationnelle.
Le modèle est simple, mais ses implications profondes. Il implique notamment que l’artefact n’existe pas en dehors de l’expérience qui en est faite. Le rôle du récepteur est fondamental.

La communication artistique présente par ailleurs quelques spécificités. L’expérience est décalée (différée) par rapport à l’acte de création, il n’y a pas d’interaction en temps réel entre l’émetteur et le récepteur. Il n’y a donc pas de contrôle ou d’ajustement (rétroaction) possible.
De plus, la communication artistique ne véhicule pas de message explicite, elle ne délivre pas d’informations, à la différence de feux ou panneaux de signalisation, d’une sonnerie de téléphone ou d’une émission radiophonique, d’un contrat ou d’un mode d’emploi.

 

L’artefact, dans l’espace ou dans le temps

L’artefact est un terme anglais francisé par Jacques Monod dans son ouvrage ‘Le hasard et la nécessité’. Il désigne un ‘objet artificiel, produit d'une activité (humaine), par opposition aux objets naturels, résultant des forces physiques’.
Dans le champ de notre réflexion, l’artefact désigne une création artistique : un objet, une composition musicale, un écrit.

L’artefact et l’expérience qui en est faite s’inscrivent dans l’espace ou dans le temps.
Dans l’espace, l’objet occupe un volume ou une surface. La sculpture, l’architecture sont tridimensionnelles ; la peinture, la gravure, le dessin, la photographie sont bidimensionnels.
Dans le temps, les sons et les signes se succèdent, se modulent, s’enchaînent. La musique se matérialise par l’interprétation. Les instruments, dont la voix, lui donnent consistance.
Ecriture et lecture ont une dimension phonétique et sémantique. Le langage littéraire accorde plus importance que le langage courant au choix et à l’organisation des sonorités, des rythmes (prosodie).

Ces distinctions ne sont pas absolues. La musique peut être jouée dans la tête du mélomane, sans l’intervention d’un tiers. Un texte peut être lu à haute voix ou prononcé mentalement (subvocalisé).
Par ailleurs, le théâtre, l’opéra, le cinéma, la vidéo, les happenings combinent l’espace et le temps et sollicitent tant la vue que l’ouïe et le mental. Ceci étant, les catégories décrites sont essentiellement pertinentes.

 

L’œuvre d’art, de la puissance à l’acte

Sans production, l’œuvre n’existe pas. Sans perception, l’œuvre ne s’actualise pas comme œuvre d’art.
Sans spectateur, une sculpture n’est qu’un bloc de pierre, un tableau n’est qu’un salmigondis de toile, pigments et huile. Sans interprète, une musique n’est qu’une partition ; sans auditeur, une musique interprétée n’est qu’une suite de sons. Sans lecteur, un récit n’est qu’un chapelet de signes.

« Je crois sincèrement que le tableau est autant fait par le regardeur que par l'artiste. » Marcel Duchamp

Si une œuvre ne se réalise en tant qu’œuvre d’art que par l’intermédiaire du spectateur, auditeur, lecteur, l’interprétation qui en est faite n’est pas indépendante de l’artefact même. L’interprétation peut être réductrice, ignorer plusieurs dimensions (humour, symbolique…) et références, voire méconnaître l’intention de l’émetteur et imposer à travers des filtres psychologiques, culturels et une sensibilité personnelle, une signification propre.

Par ailleurs, tout objet, musique, écrit peut sublimer sa fonction utilitaire et constituer une œuvre d’art si l’expérience la reconnaît comme telle. L’arte povera, l’art conceptuel, les ready-made, le bruitisme et autres musiques contemporaines, la poésie sonore, le lettrisme, etc. participent de ce phénomène à des degrés divers.

La perception de l’artefact est une expérience artistique, d’où émerge l’œuvre d’art.

 

L’œuvre d’art comme expérience

 

 Peintre,   sculpteur   (e.a.)

 

 ->

 

 toile,

 sculpture   (e.a.)

 

 +

 

 spectateur

 

 =

 

 œuvre d’art

 

expérience visuelle

 

Compositeur

 

 ->

 

 musique &   interprète

 

 +

 

 auditeur

 

 =

 

 œuvre d’art

 

expérience auditive

 

 Auteur,   écrivain

 

 ->

 

 texte

 

 

+

 

 lecteur

 

 =

 

 œuvre d’art

 

expérience mentale

 

 

L’œuvre d’art est virtualité. Elle ne s’actualise que par la connivence d’un récepteur. Cette connivence constitue un événement, une ‘performance’, une expérience.

 

Une expérience actuelle, individuelle, unique

Par nature, une expérience se passe dans le présent. L’émotion esthétique à la vue d’un théâtre antique, à l’écoute d’un quatuor, à la lecture d’un récit poétique se manifeste pendant et uniquement pendant l’expérience proprement dite, soit pendant l’interaction cognitive et affective entre l’artefact et le récepteur (et non pas entre l’émetteur et le récepteur, en raison du décalage dans la communication).

Certes, le souvenir (survivance dans la mémoire) et la remémoration (remise en mémoire) peuvent prolonger ou réactiver l’expérience, mais fugacement et au prix d’inévitables déformations. Une image, une mélodie, une expression peuvent se rappeler à notre souvenir, mais chaque rappel en mémoire constitue une expérience nouvelle.

Par nature également, la perception d’une œuvre par un spectateur, auditeur, lecteur constitue une expérience individuelle. Toutefois plusieurs individus peuvent éprouver une émotion esthétique similaire par rapport à une même œuvre, qui la fait reconnaître collectivement comme œuvre d’art et appartenir en quelque sorte à un patrimoine artistique. Cette canonisation s’amplifie par la personnalité et le statut de l’artiste, la critique, la publicité, les phénomènes de mode, qui influencent la perception.

Actuelle et individuelle, l’expérience esthétique est nécessairement unique. Elle peut être répétée, mais ne sera jamais tout à fait la même, en raisons de circonstances de perception différentes, de l’état d’esprit et de la sensibilité dans lesquels l’œuvre s’appréhende. Le rapport entre l’œuvre et le récepteur s’en trouve modifié.

 

L’œuvre d’art, l’inutile et l’agréable ?

Traditionnellement l’art se définit comme une création visant la beauté, par opposition à la fabrication d’objets utilitaires.
Qu’est-ce qui distingue un objet d’art d’un objet ordinaire ? Rien. Rien si ce n’est l’expérience qui en est faite par un spectateur, auditeur, lecteur, qui appréhende l’objet sous ses aspects plus ou moins esthétiques ou plus ou moins utilitaires.
Les pyramides sont des tombeaux, des demeures d’éternité, mais ce sont aussi des merveilles du monde, objets d’une admiration universelle à travers les âges.
Le musée Guggenheim de Bilbao abrite des collections, mais l’assemblage des volumes, les lignes, les matériaux créent une forte dynamique et interpellent le visiteur.
Les caryatides et les atlantes sont des éléments architecturaux à part entière, comme les colonnes et les pilastres, mais à la fois des statues qui recherchent expressivité et émotion tout en respectant les canons en vigueur.
Les vases grecs sont des récipients, mais leurs formes et leur décoration atteignent la perfection dans l’exécution et la composition.
La musique sacrée a une fonction liturgique, mais elle transcende le religieux, invite au recueillement, nourrit l’intériorité.
La musique de film plante la scène, dramatise l’action, renforce les émotions…, mais elle présente aussi des qualités intrinsèques qui lui octroient une vie autonome.
Un récit biographique peut rendre hommage à une personnalité, un roman historique mettre en valeur un épisode de l’histoire, tout en recherchant une excellence stylistique, une richesse lexicale, une rigueur syntaxique.

Le beau et l’utile ne sont pas mutuellement exclusifs. Souvent, il s’agira d’une appréciation personnelle, qui retiendra tantôt la dimension esthétique, tantôt la dimension utilitaire, mais qui ne devra pas faire violence à l’intention originelle.

Le caractère non-fonctionnel de l’œuvre d’art est par ailleurs un phénomène récent. Longtemps, il n’y eut pas de distinction entre un artiste et un artisan. L’artiste était artisan. Il développait un savoir-faire qu’il mettait au service d’un commanditaire. Ses œuvres étaient conformes au goût de l’époque, aux usages établis. Artiste et public partageaient les mêmes valeurs, les mêmes critères d’appréciation. Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXème siècle que les artistes se sont affranchis des conventions. Par ailleurs, l’art contemporain (plastique) s’est rapproché des productions utilitaires et le design a ajouté une dimension esthétique à la production industrielle.

Si l’œuvre d’art est essentiellement non-utilitaire, elle n’est pas gratuite. Elle répond à un besoin fondamental. Dès son développement cognitif, l’homme a ajouté une dimension non-utilitaire à ses productions, ses armes, ses outils. La forme et la décoration apportent une valeur ajoutée à l’outil, à l’ustensile. L’embellissement répond à un besoin de nature existentielle.

           «C’est bien plus beau lorsque c’est inutile.» Cyrano de Bergerac

 

La beauté, une parenthèse de l’histoire ?

La recherche de beauté n’est pas la finalité de la majorité des productions que l’on appelle artistiques. Cette observation s’applique à toutes les civilisations, à toutes les époques. L’art a essentiellement rempli une fonction de relais du pouvoir temporel et religieux, de vecteur social, idéologique, moral, didactique. La beauté en tant que finalité en soi ne concerne que quelques périodes.
Est-ce à dire que ces productions ne sont pas belles ? Que la recherche de beauté n’est qu’une parenthèse de l’histoire ? Le souci esthétique est inhérent à la production de tous les artefacts. Nous connaissons surtout les objets physiques, ceux des arts plastiques, moins sujets aux outrages du temps. Par nature, la musique ne nous est pas ou mal (par reconstitution) parvenue. Quant à l’écriture, elle est un phénomène récent et a été longtemps une activité purement fonctionnelle, pour les transactions commerciales, les comptes financiers, les textes juridiques, etc.

La beauté émerge du regard porté sur l’artefact. L’observateur sublime l’objet en objet d’art par osmose. Dans cette perspective, la beauté est une émergence, une révélation, mais dans les limites imposées par l’objet et l’intention de l’artiste.

La perception du beau est largement subjective et variable, même auprès d’un même individu. Elle dépend de nombreux facteurs, culturels, sociaux, psychologiques. Elle relève plus de la situation particulière du récepteur, de sa sensibilité, que des caractéristiques propres à l'objet d’art, ce qui rejoint la définition de l’œuvre d’art comme expérience.

La beauté ressortit au sentiment ou à la raison.
Elle est plaisir, agrément, émotion quand elle séduit le récepteur qui se sent touché par l’esthétique.
Elle est harmonie, cohérence, justesse de proportions, de traits, de couleurs, de sons, de mots… quand elle fascine la raison.
Les œuvres sont appréhendées selon ces deux axes. L’axe de la raison a longtemps prévalu dans l’histoire de l’art, à tout le moins officiellement. L’axe du sentiment est apparu avec le romantisme en Europe. Depuis lors, les deux se côtoient, parfois se complètent.

Le destinataire interprète les artefacts et jauge leur beauté en fonction de sa structure mentale, de sa sensibilité, de ses valeurs, du moment. Tantôt le sentiment domine, tantôt la raison.
Un observateur reconnaîtra dans une église romane la simplicité des lignes, l’équilibre des forces, la sobriété et la pureté des voûtes ; d’autres, ou lui-même à un autre moment, y verront une invitation à la méditation, une intensité tranquille, une ferveur.
Une sonate de Beethoven suscitera tantôt l‘émerveillement devant la maîtrise de la composition, des  rythmes, des tonalités, tantôt une émotion contenue, intime, une profonde nostalgie.
Le lecteur d’un roman sera intéressé par la justesse de la description, l’étude des caractères, le développement dramatique ; d’autres seront captivés par l’intrigue, solidaires de tel personnage, blessés par tel comportement.

Une œuvre peut ne pas être belle au sens courant du terme. Elle peut être difforme, dissonante, déstructurée, mais l’expérience qui en est faite l’appréhende comme œuvre d’art. Par l’entremise du récepteur, l’esthétique devient, ou non, artistique.

       « Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. Et je l’ai trouvée amère. Et je l’ai injuriée. »
         Rimbaud

 

Tout est message…

Si l’œuvre d’art a une raison d’être, elle doit nécessairement avoir un sens, exprimer une intention, même si elle ne véhicule pas de message philosophique, psychologique, social, moral en tant que tel.
L’œuvre (visuelle, musicale, littéraire) renvoie à autre chose qu’elle-même, elle signifie quelque chose. Elle fait sens, nécessairement, mais elle ne transmet pas de message explicite d’un émetteur vers un destinataire. L’œuvre d’art et particulièrement l’œuvre littéraire véhicule des idées, elle peut être engagée, contester, revendiquer, mais elle ne peut être à la solde d’une idéologie, d’une propagande. Ni pamphlet ni plaidoyer, elle ne saurait toutefois par nature être pur formalisme.


Le matériau communique

 Si le matériau communique, il ne transmet pas d’informations. Il produit des impressions, induit une sensibilité, prédispose.

 Les matériaux des arts visuels produisent un effet, induisent un climat. Le bois et le marbre ne transmettent pas les mêmes valeurs (chaleur, pureté, noblesse…). Des matériaux transparents comme le verre ou le plastique peuvent symboliser une société ouverte. L’aquarelle offre plus de légèreté, de lumière que l’huile.

 A priori, les sons, les notes ne délivrent pas de sens. La musique transmet des émotions, distille des impressions. Elle peut exalter des sentiments telle la liberté, exprimer le doute métaphysique, l’angoisse devant l’éphémère…

 Quant aux signes linguistiques, ils combinent une dimension matérielle et une dimension référentielle (réelle ou imaginaire). Ils dénotent, connotent, induisent.

 

Les arts visuels ont de tout temps et en tout lieu relayé les préoccupations de leurs époques et les attentes de leurs mécènes: la grandeur, la foi, la droiture, la réussite…

Par ailleurs, les artistes ont témoigné, voire dénoncé, les horreurs de la guerre, la misère de la condition humaine, les injustices sociales, les travers de la société et de ses responsables, mais le message n’a pas oblitéré les qualités esthétiques de leurs créations.

Le matériau musical se prête mal à la transmission d’un contenu, même si les thèmes politiques, religieux, sociaux ont abondamment inspiré la production. L’opéra met en scène un univers, une histoire, avec des personnages qui interagissent, clament et échangent des sentiments, des idées, mais il le fait par le livret, non par le choix el l’agencement des sons, des rythmes, des fréquences.

Le texte littéraire constitue un cas d’espèce puisqu’il se fonde sur des signes linguistiques qui unissent un concept et une image acoustique, qui renvoient à des référents extra-linguistiques et qui construisent une réalité (littéraire), une fiction. L’auteur choisit et organise les signes, selon leurs propriétés sonores, leur capacité et pertinence de dénotation, leur force de connotation. Il compose un contenu, un univers, avec des situations, des personnages, des idées, des thèmes, et le module selon la forme  (poème, récit…)

Le contenu est appréhendé par le lecteur (une pluralité de lecteurs), avec sa personnalité, ses valeurs, sa culture. Par la lecture, le récepteur va en quelque sorte ré-écrire le texte, l’interpréter, comme un instrumentiste interprète une œuvre musicale, et dégager un sens.

      « La politique dans une œuvre littéraire, c’est un coup de pistolet au milieu d’un concert. »
          Stendhal

 

Travail et talent ?

Le savoir-faire et l’intention de l’artiste se distinguent-t-ils de ceux de l’artisan ?

Il serait naïf, voire malhonnête, d’affirmer que l’artiste, tel un génie, crée des œuvres d’art sans connaître les propriétés des matériaux qu’il utilise et sans maîtriser les techniques de fabrication, d’assemblage, de composition, les ‘règles de l’art’.
Il serait tout aussi réducteur d’affirmer que l’artisan ne recherche que l’utile, sans souci esthétique.

L’excellence n’a pas toujours été une préoccupation majeure de la création artistique.
Certains courants de l’art contemporain – essentiellement plastique –  rejettent même purement et simplement toute intention qualitative. Souvent, l’artiste contemporain veut déranger, choquer, provoquer. Tout geste, tout objet peut désormais s’appeler art. Usurpation ? Escroquerie ?

      "Ça leur plaira bien un jour"
        Ludwig van Beethoven

Force est de reconnaître que la différence entre artiste et artisan est purement conventionnelle et par ailleurs non-pertinente.
Ce n’est pas l’excellence technique ni la recherche de l’utile ou de la beauté qui distinguent le travail de l’artiste de celui de l’artisan.

Ce qui distingue une œuvre d’une œuvre d’art, c’est sa capacité à susciter une émotion esthétique chez le récepteur, indépendamment des considérations commerciales, économiques et du statut de celui qui l’a produite, artiste ou artisan.


 
Le mythe de l’artiste démiurge solitaire et génial.

 Les grands maîtres, tel Rubens, s’entourent de nombreux assistants, apprentis et collaborateurs de premier plan à qui ils confient l’exécution des esquisses, des paysages, des natures mortes…

 Les estampes japonaises sont le fruit d’un travail collectif réunissant éditeur, dessinateur, graveur, imprimeur.

 La sculpture nécessite le recours à des spécialistes pour la recherche de matériaux, la fabrication, l’assemblage, la logistique…
 L’architecture, le théâtre, l’opéra, le cinéma font appel à une multitude de métiers.

 Les compositeurs confient à des interprètes l’exécution de leurs œuvres, en   ménageant quelquefois une marge d’improvisation.

 Dans les ateliers et studios contemporains, l’artiste conçoit et réalise une œuvre avec l’aide d’assistants ou de techniciens. 

 

L’originalité, un malentendu ?

Au fil des âges, à travers toutes les cultures et dans toutes les disciplines, l’artiste a été au service de princes, de religieux, de marchands dont les desseins étaient essentiellement politiques, didactiques, narcissiques, dans tous les cas intéressés. Ils attendaient de leurs protégés qu’ils contribuent par leurs œuvres à les réaliser.
La production artistique s’inscrit donc dans un cadre contraignant qui oriente, voire bride, la liberté créative. L’œuvre d’art ne recherche pas l’originalité. Elle vise à maintenir un ordre, à perpétuer une tradition, à conforter une position, à glorifier un personnage, par le respect de préceptes, de conventions.

Est-ce un sacrilège d’affirmer que les tableaux de piétas, de martyres, de descentes de croix, de scènes mythologiques sont largement répétitifs et interchangeables ?
Est-un outrage de soutenir que beaucoup des compositions de Jean-Sébastien Bach sont des productions de routine ?
Est-ce irrespectueux de prétendre que les romans de mœurs ressassent les intrigues, les infortunes, les caractères, les sentiments de personnages stéréotypés ?

L’œuvre d’art est ancrée dans une époque et une culture dont elle relaie les valeurs, les traits, les usages. Rares sont les œuvres qui innovent, qui rompent avec les conventions de leur temps ou des productions antérieures, tant dans les intentions que dans les aspects techniques ou les sujets.
Le génie créatif, l’invention ex nihilo, l’infinie liberté sont illusoires.

L’originalité en tant que capacité de produire des ‘choses’ jamais vues, entendues, lues relève de l’exception. Le caractère unique, traditionnellement attaché à l’œuvre d’art, se voit contredit par l’observation et l’analyse. Le fait qu’une œuvre n’existe qu’en un seul exemplaire (unicité quantitative) n’est en rien garante de son originalité (unicité qualitative).
Le cubisme, avec son regard et son traitement pictural absolument neuf, constitue sans doute une des rares exceptions, même si lui aussi a eu ses précurseurs.
La plupart des œuvres reconnues comme des chefs d’œuvre, celles applaudies par la critique et couronnées pas les jurys, ne font preuve d’aucune créativité. Aussi accomplies soient-elles, elles se conforment au goût de l’époque, ne cherchent pas à innover.

Beaucoup d’artistes contemporains (arts visuels) veulent sortir du lot et se démarquer sur la scène artistique, en créant l’événement à tout prix, en provoquant. Ils sont à l’affût du neuf, de l’original, mais il ne suffit pas de rejeter le beau, d’ignorer la maîtrise technique, d’utiliser des objets industriels, des déchets, voire des excréments, en somme d’être iconoclaste, pour innover, ouvrir de nouvelles voies esthétiques et faire œuvre de pionnier.

       « Tout homme est artiste ; tout ce que vous faites est de l’art ! »
         Jozef Beuys

 

Une affaire de commanditaires ?

De tout temps, les réalisations artistiques ont été commanditées par les autorités : à l’origine le pouvoir politique (souverains,  empereurs, aristocratie…) et le pouvoir religieux (papes, cardinaux, archevêques…), actuellement l’Etat, le ministère de la Culture, les autorités locales…

Le phénomène couvre toutes les disciplines et s’observe dans toutes les cultures, mais il concerne principalement les arts plastiques et l’architecture. Tous les grands projets sont en fait des œuvres de commande, et avec eux tous les éléments de ‘décoration’ (sculpture, peinture) : les pyramides,  les temples égyptiens, grecs, incas, Khmers, les châteaux, les cathédrales, les monastères, les théâtres, les musées, les bibliothèques, etc.

Avec l’émergence d’une bourgeoisie fortunée, dès le Moyen-Age en Europe, les riches propriétaires et les riches marchands commandent à leur tour des œuvres d’art : en Italie, en Flandre, en Angleterre, au Japon.
De la Renaissance au XIXème siècle, en Europe, le phénomène s’intensifie et le marché de l’art s’élargit.

Le XIXème siècle a revendiqué l’image de l’artiste indépendant, qui n’a de comptes à rendre qu’à lui-même, mais une réalité plus complexe se cache derrière cette prétention, qui dissimule en réalité de nouvelles formes de soutien. En véritables entrepreneurs, des marchands d’art, des spéculateurs, des amateurs prennent des risques et font le pari de la réussite en investissant dans certains artistes et certaines œuvres qu’ils commercialisent et promeuvent.

Parallèlement au mécénat d’Etat, toujours dominant, le mécénat privé s’est développé tout au long des XXème et XXIème siècles, singulièrement dans les pays anglo-saxons, grâce à des donations, des fondations, des financements participatifs.

Depuis la seconde moitié du XXème siècle, beaucoup d’entreprises se sont investies dans un rôle citoyen, responsable, au cœur de la cité, et soutiennent financièrement ou matériellement des artistes, des initiatives, des événements à portée artistique, souvent par le biais de fondations. Elles n’interviennent pas dans le travail créatif, mais par leurs choix, elles favorisent tel ou tel artiste, tel ou tel projet.

Depuis la fin du XXème siècle, Le marché de l’art a littéralement explosé. De nouveaux et nombreux très riches investisseurs, issus notamment des pays émergents, ont fait une entrée fracassante sur la scène artistique. Leur dévorant appétit a provoqué un engouement sans précédent pour l’art et certains artistes et une hausse des prix exponentielle... de certaines œuvres. Leur valeur marchande et leur potentiel de rendement éclipsent leur valeur intrinsèque. Les salles de vente, les galeries, les foires, les expositions, les musées ont embrayé sur le mouvement et affolé la course à la cote et à la spéculation. Le rapport entre l’artiste et le collectionneur / investisseur s’est inversé : c’est ce dernier qui produit l’œuvre d’art à présent, avec toute l’artillerie du marketing, des gestionnaires de fortune, des fonds d’investissement. Phénomène inquiétant ? Sans doute, mais les plus-values mirobolantes et les sommes astronomiques, fortement médiatisées, ne sauraient masquer la réalité : la manne ne profite qu’à une minorité d’artistes et ne parvient pas à oblitérer le foisonnement des expressions créatives sincères et les émotions vraies.

 

Conclusion

La conception traditionnelle de l’art en tant que création de beauté gratuite et libre ne résiste pas à l’analyse.

Le beau est attaché au goût et aux usages d’une époque, d’une culture et sujet à la sensibilité individuelle du moment.

L’œuvre d’art n’est pas gratuite, elle a une raison d’être, elle répond à une intention, mais elle ne délivre pas de message explicite.

La création est le fruit d’un travail, elle n’est pas le fait d’un génie. L’artiste comme l’artisan doit parfaitement maîtriser la technique.

L’œuvre d’art fait rarement preuve d’originalité. En général, elle se conforme aux normes de l’époque, aux attentes des commanditaires.

Le souci esthétique est inhérent à toute œuvre, mais c’est la perception du spectateur, auditeur, lecteur qui sublime l’œuvre en œuvre d’art.

L’œuvre d’art n’existe pas en dehors de l’expérience qui en est faite. Elle est un événement.

 

Bibliographie (sources principales, accessibles sur internet)

Gian Maria Tore ‘L’art comme création’

Jacques Darriulat ‘Introduction à la philosophie esthétique’

Jean-François Devillers ‘L’art’

Kookaburra ‘L’art contemporain, une escroquerie ?’

Paul Ricoeur ‘Le monde du texte, le monde du lecteur’

Vincent Lafourcade ‘La musique classique, un art politique ?’

Wellek & Warren ‘Theory of literature’

Yves Michaud ‘Qu’est-ce qu’une œuvre d’art ?’

 

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