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Nouveau projet d'écriture fragmentaire

En voici deux fragments

Petit sourire narquois, mais elle ne souriait pas. Elle n’avait pas l’âme à sourire. Une profonde tristesse la possédait, privilège des nantis, qui s’accordaient caprices et états d’âme, ignoraient les astreintes, les besognes, se répétait-elle, sincère à sa façon, mais rien n’y faisait. Une absence abyssale l’avait surprise brutalement, puis vidée, comme le dégoût parfois dégorgeait ses hantises, soudainement. Elle se souvenait du lieu précis, du moment précis. Dans la salle de bains, un vingt-et-un mai à onze heures et quart, elle s’était consumée dans la glace biseautée, horreur, terreur, pitié. Les jeux étaient faits, mais sans elle. Rien ne comptait plus, n’existait plus. Le constat sans appel n’en était pas moins déroutant. Le passé l’avait laissée en rade. Orpheline, étrangère, elle se recomposait comme une page blanche. S’y efforçait. Pas de visages, quelques traits indécis, furtifs. Des yeux terreux, lumineux, enfuis déjà, mais où ? Et pourquoi ? Des ratures beaucoup, des ricanements, des caresses vaporeuses, fugaces, dérisoires comme des ricochets. Un collage béant. Elle en glanait les images, les mots, les matières, n’en cherchait pas les raisons, les agençait au hasard des symboles, comme un médium tire les cartes et feint, mi-figue, mi-raisin, qu’elles sont voyage ou chagrin. Ses simagrées ne la dupaient pas, elles ne menaient à rien. La marguerite effeuillée, la fleur s’était volatilisée. Pas d’autre vie sous les décombres, elle n’y parvenait pas, démunie, inconsistante. Elle s’abandonnait, ne cherchait pas à qui, ni à quoi, se désintégrait, impuissante. Demain la jetterait, pareillement fatal. Pas d’horizon, pas de trompe-l’œil, la froide évidence d’une épreuve avortée. Elle n’oserait pas ses peurs, puisqu’au-delà il n’y avait ni lumière ni langage. Pas d’au-delà, pas de demain. Elle se rendait à l’évidence et s’émiettait de toutes ses forces. Elle prit une pelle et une balayette, se ramassa en s’excusant. Seul s’accrochait un petit pincement, comme une cicatrice, un peu fuyant, un peu timide.

Il avait remisé ses petites pensées, ses petits émois et se laissait emmener, docile, sans âpreté. Il partait à sa manière, sur la pointe des pieds. Ne pas se tromper d’importance. Pas d’esclandre. Les raisons auraient tôt fait de le rattraper. Il ne s’en souciait pas, seuls ses pas comptaient, le portaient, lui ménageaient un souffle salutaire. Il s’oubliait. Etranger à son corps, il s’offrait au tout-venant. Pas de centre, pas de cap, pas de dérive. Pure présence, toujours, ici, partout. Quelques picotements, comme des notes, des images, fortuites, qui ne le retenaient pas. Infidèle à souhait, il se disait libre enfin, délesté de ses vanités, qui s’étaient révélées sans le vouloir vraiment, puis incrustées, si anciennes déjà. Il ne se connaissait pas, ne s’en étonnait pas. Fi des schémas, des balises. Quelles promesses, quelles défections ? Comme un sou neuf, il se sauvait, la fleur aux dents. Pas d’écart, une attention de chaque instant coupait les ailes aux idées noires, aux idées creuses, toujours si promptes à tourner en rond, comme des vautours borgnes. Avec dévotion, il se découvrait, se répétait qu’un pion chassait l’autre, que de B4 ou de G6 il n’avait cure. Il se sentait dépositaire, mais ne savait pas, ne se demandait pas de quoi. À la pointe du jour, dans la langue de brume lavée de bisque et de vert-de-gris, il ne se passait rien. Pas de scènes, pas d’intrigues. Pas de troupes accroupies dans la mélasse, pas de général infatué, pendu à ses médailles, tachées de rouille et de sang, pas de guéguerres. Pas de brume. Une parenthèse pure et simple, le temps de laisser venir. Quelques mouvements, peut-être, comme des ombres de nuages, faisaient mine, avortaient. Quelques bribes balbutiaient, rendaient l’âme. Une simple case, blanche ou noire, aux autres pareilles, puis lui, blanc ou noir, ni triste ni gai, droit comme un cierge oublié, solitaire, lui qui exorcisait les scories, les cicatrices, n’y parvenait pas, ou si peu, lui qui s’ouvrait candide au foisonnement indifférencié des particules fantômes, insaisissables. Par milliards, elles traversaient ses jeux, ses histoires, son fatras, imperturbables, comme s’il n’existait pas.

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